1937 : Art moderne et régionalisme en art mobilier par Clément GOYENECHE
Au Centre Régional, pour le Pavillon de la Côte d’Azur à l’Exposition Internationale des Arts et Techniques de Paris on a demandé aux architectes et aux artistes décorateurs d’être à la fois modernes et régionalistes.
Le problème de l’art décoratif régional est passionnant et très difficile à résoudre. La plupart de ceux qui ont essayé ont abouti à des réalisations d’une rusticité caricaturale ou bien au pastiche d’ancien plus ou moins déguisé.
La vérité c’est que le régionalisme architectural ou décoratif le plus pur est celui qui serait élaboré d’une façon inconsciente si l’on peut dire…
L’artiste, originaire d’une région ou la connaissant parfaitement, s’exprimerait naturellement en tenant compte des exigences du climat, des habitudes de vie et des matériaux du terroir, en ajoutant à ces déterminations le signe de sa sensibilité sous une forme discrètement ornemental inspirée par la faune, la flore et l’ambiance vivante du pays. Il arriverait ainsi sans effort artificiel à une création régionaliste authentique : ce serait une forme de fonctionnalisme sensibilisé.
En passant je dirais que je crois qu’un art régional sans décor est inconcevable et aussi pour toute autre expression artistique : la recherche d’une forme aussi dépouillée soit-elle, constitue d’elle-même une volonté décorative. L’ornement matérialise une humanisation poétique de l’habitation et des objets mobiliers qui la compose. Loin d’être un barbarisme, comme des théoriciens d’un fonctionnalisme intégral l’ont prétendu, le décor est un raffinement, une politesse. Il est le langage plastique inscrit sur la forme, indiquant aux générations qui viendront notre situation poétique dans le temps.
Jusqu’ici le public n’a pas paru gouter beaucoup les réalisations d’artistes régionaux modernes, aussi il y a en France très peu d’artistes régionalistes. Malgré tout les français qui aiment leur terroir sont sentimentalement épris des œuvres du passé. Pour les autres le gout venu de Paris envahit malheureusement toute la France et presque toujours avec ses productions les plus discutables.
La tache était donc particulièrement ardue pour les artistes du Centre Régional de l’Exposition Internationale des Arts et Techniques, beaucoup plus que pour les ensembliers parisiens qui n’avaient qu’à œuvrer dans la continuité de leur évolution normale dans l’ambiance moderne de Paris et des influences internationales.
J’ai essayé dans mes réalisations pour le Pavillon de la Côte d’Azur d’être naturellement moderne, de donner aux visiteurs l’impression climatique régionale, et aussi de rester dans la tradition de ce pays méditerranéen qui tient un peu de l’Orient (influence barbaresque), de la Provence, de la Catalogne ainsi que de la proche Ligurie italienne.
On conçoit difficilement dans le grand public un art régional qui ne soit pas rustique ou « campagnard ». L’art régional étant pour nos contemporains, comme la gastronomie, une des formes proches de l’évasion.
J’ai essayé néanmoins dans certains de mes ensembles mobiliers (le « Grand salon d’honneur » ou le « Cabinet de travail de l’écrivain ») d’atteindre une certaine noblesse, riche d’aspect et vigoureusement précieuse. J’ai pu pour se faire avec l’aide du Comité régional des Arts Appliqués, créer une section artisanale.
Je produits des œuvres dans ma région niçoise depuis 1921, cette expérience m'a amené à utiliser le principe de l'artisanat dirigé. En effet la caractéristique de la production artisanale française est d'être issue d'une filière technique très habile mais faussée, au service d'une conception artistique déficiente. Toutes les qualités de réalisation, de l'expérience professionnelle s'allient à une absence presque totale de principes artistiques, même élémentaires. Presque toujours, au début de sa collaboration avec l'artiste, l'artisan est étonné des résultats obtenus par des moyens simples et franchement savoureux.
Livré à lui-même, à l'instar des ébénistes du Faubourg Saint-Antoine, il tachera d'escamoter, de dissimuler la marque de la main ou alors il se perdra dans une abondance de difficultés techniques inutilement mises en évidence.
Tous mes ensembles mobiliers du Pavillon de la Côte d'Azur ont été exécutés jusque dans leurs plus petits détails par des artisans et petits industriels de la région d'après mes dessins et sous ma conduite : ébénistes, menuisiers, doreurs, fondeurs, ciseleurs, marqueteurs, tapissiers, céramistes, potiers, tisserands, ferronniers, miroitiers, etc...
Je pense que dans l'état actuel de la production artisanale, une longue collaboration des artisans avec les artistes et les architectes est nécessaire pour recréer une sorte d'habitude tenant lieu de tradition, avant d'arriver à une œuvre artisanale en même temps créée et exécutée.
.(à suivre)
Le Cabinet de travail de l'écrivain par Clément GOYENECHE, Pavillon de la Côte d'Azur, 1937
Le Grand Salon d'Honneur par Clément GOYENECHE, Pavillon de Nice et de la Côte d'Azur, 1937
Meuble avec panneaux sculptées par Clément GOYENECHE, vers 1947
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire