Un
foyer d’art méconnu, l’École Nationale des Arts Décoratifs de Nice
Créée en 1881, par le
peintre Alexis Mossa dans des bâtiments édifiés rue Deloye, l'école aménagera en
1904 dans de nouveaux bâtiments rue Tondutti de l’Escaréne, construits suivant
les plans de l’Architecte Marcel DALMAS, également enseignant dans ce même établissement.
Rapidement l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Nice deviendra l’une des
sept grandes écoles régionales d’arts appliqués en France sous le contrôle de
l’Education Nationale tout comme Limoges, Bourges, Aubusson, Angers, Dijon et Nancy.
Curieusement l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Nice demeure, suivant les
mots de Martine Cardone (in « Méditerranée magazine »)
un « foyer d’art méconnu »,
et celle-ci en développe les causes dans son article :
« Trop souvent et trop longtemps présentée
comme un « désert culturel », la Côte d’azur a subi cette réputation
colportée par les premiers voyageurs étrangers qui la visitèrent au cours du
18ème siècle, sensible surtout aux charmes du paysage et à son climat. Mais
c’est précisément ce qui fut à l’origine de ce discrédit qui lui vaudra deux
siècles plus tard d’être le paradis des peintres et de consacrer sa réputation
dans le domaine artistique. De Berthe Morisot à Renoir, de Dufy à Chagall à
Picasso ou à Matisse la Côte d’Azur inspira et inspire toujours les grands noms de l’Art. A cette dimension artistique,
s’ajoute à la même époque, un autre élément qui jouera un rôle décisif dans l’évolution de la région : le
nombre croissant d’étrangers y séjournant temporairement ou s’y installant
confirmera sa vocation cosmopolite.
Liée à cet
accroissement d’une population formée pour l’essentiel de gens aisés, la
construction va connaître un véritable
essor après les années sombres 1914-1918 et avec elle, prospéreront toutes les industries des arts de l’habitation. Ce sont sans
doute tous ces facteurs qui ont contribué à donner à l’Ecole des Arts
Décoratifs de Nice son caractère particulier. En effet, la plupart des autres
Ecoles des Arts Décoratifs situées dans
des régions ayant par tradition une production d’art industriel se voient
imposé tout naturellement une certaine spécialisation : ainsi les ateliers
de tapisseries d’Aubusson, de céramique à Limoges, etc.. Or la région n’ayant pas
au début du siècle d’industrie spécifique, si l’on excepte les manufactures de poteries de Biot et de
Vallauris, sa spécialisation a de ce fait été déterminée par l’essor de
l’urbanisation et par voie de conséquence, le développement de l’architecture et
des arts décoratifs liés à
l’habitat : le mobilier, la décoration intérieure, la ferronnerie, la
mosaïque… Cette importance toute particulière
des arts de l’habitat a donc légitimé la formation par l’Ecole de Nice
de créateurs, de dessinateurs, de compositeurs avertis dans la pratique des techniques
des métiers du bâtiment, capables dès leur sortie de l’Ecole, de produire des
modèles aux industriels et aux artisans. »
Sous la férule d’éminentes
personnalités comme Alexis Mossa, son fondateur et son Directeur jusqu’en
1911, puis surtout avec peintre Paul Audra qui en assumera la direction jusqu’en
1934, l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice va se développer et jouer un rôle de
tout premier plan dans la vie culturelle et économique de la Côte d’Azur, en pleine
période « Art déco ». Comme le décrit Martine Cardone,
l’enseignement de l’Ecole des Arts décoratifs était réparti en trois
sections :
« La section
d’architecture, destinée à préparer un certain nombre d’élèves au concours
d’admission à l’École des Beaux-Arts de Paris, formait les futurs architectes. Les
autres étudiants pouvait obtenir un certificat de dessinateur ou devenir
collaborateur d’architecte. La section sculpture et surtout la section d’art
décoratif comportait des cours de composition décorative destinés à former des
décorateurs-créateurs, elle était considérée comme la section la plus
importante de l’école. Cette chaire de composition décorative sera occupée
durant trente-sept années, de 1920 à 1957, par le même titulaire, le professeur
Clément Goyeneche. A une époque où la revalorisation des métiers d’art n’était
pas encore le fer de lance de certains dirigeants, cet homme également
pédagogue et artiste eut à cœur de former ses élèves tout à la fois comme
créateurs et comme artisans car dans son esprit ils devaient d’une part
acquérir les techniques d’exécution mais aussi développer leurs propres
qualités artistiques afin de pouvoir s’exprimer en
« artisans-artistes », ainsi qu’il aimait à dire. Il tenait pour
essentiel qu’un décorateur connaisse l’esprit et les techniques de tous les
corps de métiers auquel il avait affaire puisque ses créations passaient
nécessairement par les mains de « techniciens-exécutants » et que de
plus, il devait également tenir compte des exigences pratiques de destination,
de situation et d’emploi de matériaux. Mais à cela devaient impérativement
s’ajouter d’authentiques dons artistiques, faute desquels aucune création
n’était possible.
Ainsi conçue la
décoration n’était plus pour ce maître un motif ajouté à l’œuvre construite
mais bien une partie intégrante de l’œuvre architecturale. Cette conception
préfigure le travail de collaboration que tentent de réaliser actuellement
certains architectes, sculpteurs et décorateurs en projetant des édifices
urbains comme de véritables ensembles artistiques. Artiste-professeur, Clément
Goyeneche était également artiste-artisan et architecte comme en témoignent les
nombreuses réalisations qu’il a exécutées pour la commande publique :
Mairie de Nice, Ecole Hôtelière, Bibliothèque municipale, Pavillons de la Côte
d’Azur aux Expositions Internationales de Paris en 1925 et 1937, de Rotterdam
en 1928, etc.. ainsi que pour la commande privée : immeubles,
architectures intérieures, mobiliers…Et par la suite, après-guerre et jusqu’en
1975 une importante œuvre architecturale : villas, chalets, églises,
monastères. »
Professeur en charge
de la section la plus importante de l’école, Clément Goyeneche, niçois, d’origine basque, a été lui-même élève de l’ENAD
de Nice 1910-11. Il obtiendra en 1911 le Premier Prix d’un concours national
entre toutes les écoles d’art de France : le « Concours
Général de Composition Décorative » organisé par la
Société d’Encouragement à l’Art et à l’Industrie et le Ministère des Beaux-Arts.
Ce premier succès sera le point de départ d’une brillante carrière car la
Baronne Ephrussi de Rothschild lui commandera séance tenante le projet de la
grande mosaïque du patio de la Villa Ile-de-France à Saint-Jean-Cap-Ferrat et
il obtiendra quelques mois plus tard une bourse de la Ville de Nice pour
continuer ses études à Paris : à l’Ecole des Beaux-Arts (Atelier Cormon)
et à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. Il fréquentera à Paris
plusieurs jeunes niçois qui seront ses camarades d’études et qui demeureront des
amis proches et par la suite des associés dans plusieurs projets sur la
Côte d’Azur, notamment les architectes Richard Laugier et Paul Labbé ou les
artistes-décorateurs René Cera et Mario Simon : durant ces années d’études
ils resteront tous en relation étroite avec Paul Audra, le Directeur de l’ENAD,
avec qui ils avaient une véritable relation de « piété
filiale » suivant les mots de Clément
Goyeneche dans une correspondance.
Clément Goyeneche
travaillera très rapidement avec de grands décorateurs parisiens comme Maurice
Dufréne, Francis Jourdain, le couturier Paul Poiret (Atelier Martine),
l’architecte Mallet-Stevens et l’Atelier Primavera des Grands Magasins du
Printemps, et il collectionnera les récompenses comme le Premier Prix du
Concours d’Art Décoratif de la revue « Les Arts Français ». Et à 23
ans seulement il sera reçu Premier au concours national pour le « Certificat
d’aptitude à l’enseignement de la Composition Décorative », ce qui en fera
le plus jeune professeur de France et lui vaudra sa nomination en 1920 au poste
d’enseignant titulaire à l’École Nationale des Arts Décoratifs de Nice.
L’École de Nice va
devenir très vite une des meilleures écoles d’art de France et les élèves de
Clément Goyeneche vont obtenir à leur tour de très nombreuses
récompenses dont la presse locale (le « Petit
Niçois » ou l’ « Éclaireur de Nice »)
ou nationale se feront régulièrement l’écho : en effet à pas moins de quatre
reprise l’ École des Arts Décoratifs de Nice figurera au palmarès des concours
nationaux avec des premiers prix. En 1935, le Maire de Nice, Jean Médecin s’en
glorifiera avec juste raison dans le texte « Six années de réalisations
municipales » :
« Notre École d’Art Décoratif
est nationale, mais la Ville contribue largement à son fonctionnement. Elle est
devenue très prospère et l’ensemble des récompenses qu’elle obtient aux
concours de fin d’année la classe au tout premier rang des écoles
françaises. »
Ce sera encore le cas en 1939, à la
veille de la seconde guerre mondiale, avec le premier prix et le quatrième, sur
huit prix seulement en compétition pour les concours nationaux qui concernaient
environ 50 écoles d’art en France . Au cours de l’inauguration de l’école
rénové et agrandie en 1938-39 par M.Aragon, Architecte en chef de la Ville de
Nice, le Directeur de l’école, M Maillard qui a succédé à Paul Audra en 1934, « se félicite des brillants
résultats obtenus par les élèves, non seulement dans les compétitions mais au
point de vue de leur formation artistique » et le Directeur Général des Beaux-Arts, M.Georges Huisman, représentant
le Ministre à cette occasion, se dit « heureux
d’applaudir aux brillants résultats obtenus par les élèves et il leur demande
de rechercher un idéal derrière leurs succès scolaires. Mais dit-il en
substance, cette école marche si bien, obtient de si brillants résultats
qu’elle n’a besoin d’aucun encouragement officiel !.. M Huisman
termine en montrant aux maîtres et aux élèves leur rôle essentiel qui est de
contribuer dans notre région à la formation d’un gout du public dont il faut
bien dire qu’il est toujours en retard de quelques lustres sur les créations du
moment. M Huisman se tourne alors vers M Goyeneche, Professeur de Composition
Décorative. Il rappelle dans quel estime le tient la haute administration des
Beaux-Arts qui a voulu l’arracher à Nice, pour lui donner ailleurs des
fonctions beaucoup plus importantes. Il souligne la brillante carrière de ce
grand artiste et le félicite de sa popularité parmi les élèves. Mlle Gaillier
et M Spiewak remettent la croix de la Légion d’Honneur, offerte par les élèves
qu’ils représentent, et M Huisman l’accroche sur la poitrine de M Goyeneche en
prononçant la formule sacramentelle.» (in
«l’Eclaireur de Nice»)
Le but des études du
Cours de Composition Décorative était clairement énoncé dans le programme
diffusé par Clément Goyeneche pour l’inscription à l’école : « Formation
d’Artistes Décorateurs, créateurs de modèles, dessinateurs-décorateurs pour les
Industries et Métiers d’Art ;préparation à la profession de Décorateurs-Ensemblier ».On
utiliserait aujourd’hui plutôt les termes d’ « Architecte d'intérieur »
et de « Designer » pour désigner la qualification professionnelle
dont il est question, d’autant que les élèves recevaient également un
enseignement complémentaire sur l’architecture et la sculpture par d’autres
professeurs. « Les études comporteront une
initiation théorique aux principales techniques des métiers d’Art. Elles
poursuivront, sous la forme de projets, des recherches englobant la plupart des
branches de l’Art Appliqué : papiers peints, tissus imprimés et tissés,
tapisseries, tapis de sol, mosaïque, céramique, verrerie, vitrail, verre gravé,
ferronnerie, mobilier, menuiserie d’Art, ébénisterie, marqueterie, luminaire,
publicité, affiche, décors de théâtre… ».
Au cours de la
période 1920 à 1939 l’action pédagogique de Clément Goyeneche à l’Ecole des
Arts Décoratifs de Nice et son exercice professionnel sont intimement liés aux deux
grands événements qui vont populariser ce qu’on nommera par la suite le style « Art
Déco » mais que l’on appelait à ce moment-là l’« Art moderne »
ou « Art actuel » : les expositions internationales de Paris de 1925
et de 1937 auxquelles l’école va participer activement dans le cadre des
Pavillons de la Côte d’Azur.
Clément GOYENECHE,
Président de la Commission de Consultation Esthétique de Nice pour l’Exposition
Internationale de 1925, en expose les grandes orientations dans un rapport
introductif :
« Le modernisme est une
conception qui repose sur le rapport équilibré entre les lois esthétiques
permanentes et l’expression particulière correspondant aux besoins communs et à
la sensibilité ambiante d’une époque. Ces besoins et cette sensibilité sont en
état constant d’évolution. Une forme d’Art est belle pour toujours et entre
dans le vaste domaine du classicisme dés qu’ elle nait directement de la
vie exercée à un certain moment et qu’elle satisfait à la fois à la mise en
œuvre la plus logique des matières et aux principes directeurs de la pensée
humaine. Elle réalise l’unité par l’équilibre des contrastes, l’expression
vivante par l’affirmation d’une dominante.(..) Constante matérielle :
Technique propre à chaque matière, la plus directe et la plus simple possible.
Appropriation à la fonction : la fonction détermine l’aspect.(..) Constante
esthétique : Le décor n’est pas toujours nécessaire : il n’est en
situation que pour des raisons de souplesse et de stricte variété. Le plus
souvent, la structure architecturale se suffit à elle-même. Quand il y a décor :
correspondance du décor avec la forme structurale, la destination, la fonction,
la situation. Accuser et ne jamais dissimuler la structure architecturale.
Mettre en évidence la forme des solides géométriques élémentaires (sphère,
cylindre..) entrant dans la structure architecturale. Accuser la fonction par
la mise en évidence des éléments de nécessité pratique. (..)
L’art actuel
s’appuie sur les principes qui viennent d’être énoncés. Il tend au classicisme
pur, qui est une expression essentielle de la vie, qui admet toute la fantaisie
poétique, au demeurant fortement attaché au contrôle de la raison. Il répudie
toute formule académique. (..) L’art actuel recherche la franchise et la
fraicheur dans la forme, dans l’effet du contraste lumineux, dans l’harmonie
colorée. Il s’attache à ne retenir que les éléments essentiels de l’expression,
à généraliser ces éléments jusqu’à l’abstraction. (..) Il considère comme
nuisible tout ce qui est inutile. Il rejette tout pastiche des formes d’art révolues,
comme ne correspondant plus à la vie actuelle. Il respecte et utilise toute
technique traditionnelle et logique. Il satisfait à des besoins nouveaux à
l’aide de matériaux nouveaux et de leurs techniques correspondantes, sans
entrer dans le moule de formes connues. Désireux d’éviter l’art anonyme, il tend
à marquer les caractères de vie propre à chaque région et aussi les
sensibilités individuelles (situation géographique, climat, habitudes,
tempérament). En résumé, l’art actuel est fondé sur l’ « Utile
supérieur » et s’oppose à l’ « Art pour l’Art ».
©Bruno GOYENECHE
©TOUS DROITS RÉSERVÉS@Bruno GOYENECHE.2015
Ci dessus : en 1925, un salon dans le Pavillon de la Côte d'azur à l'Exposition des Arts Décoratifs de PARIS et ci dessous le grand salon d'honneur du Pavillon des Alpes Maritimes à l'Exposition Internationale des Arts et Techniques de PARIS
par Clément GOYENECHE
CI DESSOUS, ARCHITECTURE INTÉRIEURE ET MOBILIER POUR UNE VILLA NIÇOISE PAR CLÉMENT GOYENECHE EN 1927
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